Découvrez les coulisses de la restauration minutieuse du Château de Vachères, un chantier d’excellence mené avec passion.
Le vingtième siècle a été très néfaste pour Vachères : outre le démembrement du domaine, l’absence d’entretien, l’usage de tout le 2ème étage comme poulailler, la transformation en une douzaine d’appartements à loyers modérés, le tout desservi par des installations précaires (chauffage, électricité, sanitaire) avaient laissé un monument, certes inscrit au Patrimoine dès 1986, mais pratiquement inhabitable.
Un courageux citoyen belge entreprit dès 1992 la reprise complète de la toiture. Avec l’aide de M. André Diviani, charpentier à Eurre, il accomplit un travail considérable, changeant toutes les parties pourries de la charpente, renforçant par endroits les structures des combles et remplaça les toitures à deux pans des petites tourelles par celles à 4 pans sur génoise que l’on peut voir actuellement. M. de Potter enleva une grande partie des chapes de ciment (étendues pour faciliter le nettoyage du poulailler…) qui recouvraient les terres cuites du 2ème étage et démolit la majorité des cloisons de briques posées pour compartimenter les appartements créés à la suite de l’élevage des poulets ! Découragé, Monsieur de Potter passera le témoin en 1995 aux époux Sallenbach.
Avec l’aide d’un jeune architecte enthousiaste, des transformations importantes eurent lieu entre 1995 et 2002. Pour le bien : assainissement de l’aile sud et d’une partie de l’aile Est, création d’une vaste zone habitable au confort moderne.
Et pour le pire : utilisation de l’aile nord comme magasin de matériaux anciens pour restaurer le sud, déplacement de trumeaux ; remplacement de la grande cheminée historique du grand salon, mise en place d’un ascenseur reliant la cave au premier étage dans leur partie privative et autres transformations qui ont nuit aux bonnes relations avec les Bâtiments de France.
Les travaux reprirent dès 2016, avec la restauration d’un grand appartement du 2ème étage de l’aile est, qui avait été laissé complètement ravagé : à toiture nue dans le salon, sur un faux plancher troué et en mauvais état, nécessitant de grandes précautions pour la réfection d’un sol en terre cuite du 18ème sur une chape de chaux allégée avec du chanvre, les travaux ont constitué en la restauration de la cheminée, la remise en place d’un plafond, la réouverture des meurtrières de la tour Sud-Est. Une décoration en trompe l’œil agrémente le grand couloir, création de Monsieur Claude Rochat, réputé restaurateur de fresques et tableaux heureusement à la retraite, ce qui lui a permis de mettre ses compétences au service du château !
Dès 2017, les propriétaires actuels renouèrent des liens étroits et rapidement empreints d’amitié et de confiance avec la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et l’ABF (Architecte des Bâtiments de France). Ensemble, ils entreprirent un vaste programme de restauration visant à redonner vie aux éléments oubliés du domaine, à commencer par l’ancienne glacière du château.
Découverte sous un amas de terre et de végétation, envahie par les racines d’arbres qui avaient perforé la voûte et fragilisé les murs, la structure s’est révélée d’une conception remarquable une fois dégagée. La partie supérieure témoigne de la présence passée d’une toiture soutenue par huit poteaux enchâssés dans de grosses pierres taillées, disposées en octogone et bordées d’une calade. C’est à partir de ces indices qu’André Diviani imagina la toiture du kiosque actuel, recouverte de tuiles anciennes, parfois vernissées, dans le plus pur respect du style d’origine.
À l’intérieur, après le déblaiement de plusieurs mètres cubes de terre et de détritus, apparut un superbe sol de dalles de pierre taillées, reposant sur une voûte maçonnée percée d’une trémie donnant accès à un espace inférieur : une vaste fosse circulaire de plus de cinq mètres de profondeur, à fond ogival, prolongée par un canal d’évacuation en pierre de taille. Ce souterrain communiquait avec la poissonnière — un étang construit à proximité du château.
Il fallut évacuer près de 30 m³ de vase, de terre et de limon, à la main et au seau, pour révéler toute la richesse architecturale désormais sauvé de l’oubli grâce à la passion et à la persévérance de ses propriétaires.
Dès 2018, sous la direction de M. Gobbo, architecte, et avec le soutien de la DRAC, débuta un nouveau chantier majeur : la restauration du rez-de-chaussée de l’aile nord du château. L’intervention portait notamment sur la boulangerie du XVème siècle, dont le manteau de cheminée menaçait de s’effondrer. Grâce au savoir-faire de l’Entreprise Lebrat P&F, les enduits furent entièrement restaurés, les éléments abîmés remplacés, et la voûte fut déposée puis remontée à l’ancienne, selon les méthodes traditionnelles, sur un gabarit en bois fidèle aux techniques d’origine.
Dans le même élan, une restauration soignée fut menée dans les pièces attenantes du rez-de-chaussée : l’orangerie (ancienne salle des gardes), la grande cuisine et l’ancienne sellerie, tandis que les caves nord — situées à la base du bâtiment annexe du XVIIème siècle — furent réaménagées pour assurer la stabilité et la cohérence de l’ensemble.
En attendant les autorisations officielles pour les prochaines étapes, les propriétaires entreprirent la remise en état de la poissonnière, dont les parois en pierres brutes et le système de vidange menaçaient de céder. Ces travaux permirent la consolidation de l’ouvrage et l’installation d’un système de filtration passive et naturelle, respectueux de l’environnement et fidèle à l’esprit originel du domaine.
L’année 2020 marqua une nouvelle étape importante dans la restauration du Château de Vachères. La période du Covid eut, paradoxalement, un effet favorable sur la disponibilité des entreprises, permettant d’entreprendre la réhabilitation complète des deux étages de l’aile nord.
Les travaux, sour la direction de Monsieur Thomas Bricheux, architecte du Patrimoine et maître d’oeuvre, commencèrent par la dépose pratiquement intégrales des sols et des chapes de ciment qui recouvraient les sols depuis plusieurs décennies — vestiges d’une époque où le deuxième étage avait été transformé en poulailler. Ces couches, appliquées pour faciliter le nettoyage, avaient gravement endommagé les terres cuites anciennes, désormais fragilisées, brisées ou manquantes, parfois même pillées pour reconstituer d’autres surfaces ailleurs dans le château.
Les planchers, quant à eux, n’ont pas tous pu être sauvés : plusieurs, recouverts de moquette collée, étaient atteints de pourriture et durent être remplacés.
Les murs, soigneusement piqués, furent réenduits à la chaux, selon les techniques traditionnelles. Aucune modification architecturale majeure ne fut apportée, hormis l’ouverture d’une fenêtre sur la façade ouest du deuxième étage, autorisée par les Bâtiments de France. Cette nouvelle ouverture, entièrement réalisée en pierre de taille (près de 11 tonnes), s’intègre parfaitement au style du premier étage.
Une étude dendrochronologique menée sur les poutres de l’aile nord révéla que les arbres utilisés pour la charpente — principalement du peuplier — avaient été abattus entre 1390 et 1500, confirmant l’ancienneté remarquable de la structure. Deux de ces poutres, situées au premier étage, avaient cédé, l’une ne tenait plus que grâce à deux étais. Leur remplacement s’avéra délicat : sur prescription des Bâtiments de France, une technique moderne fut employée, consistant à pratiquer une entaille sous la poutre sur plus de trois mètres afin d’y insérer une barre en fibre de verre de trois centimètres de diamètre, noyée ensuite dans de la résine époxy. L’ensemble fut renforcé par une contre-poutre supérieure, rendue possible grâce à la dépose complète du sol de l’étage supérieur.
Enfin, les murs mis à nu furent réenduits à la chaux en passes successives, redonnant aux volumes leur authenticité et leur lumière d’origine. Cette restauration minutieuse a permis de sauvegarder un pan essentiel de l’aile nord, tout en respectant scrupuleusement la mémoire et la noblesse du bâti ancien.
Les travaux se sont étendus sur quatre années, guidés par le respect du bâti et le soin du détail. Chaque pièce a retrouvé son âme, certaines ayant bénéficié d’une attention particulière pour atteindre le niveau d’excellence actuel.
La Chambre de l’Évêque a fait l’objet d’une attention toute particulière durant le chantier.
Cette vaste pièce, autrefois en très mauvais état, a nécessité la réparation de poutres maîtresses, la dépose des tomettes du XVIIIème siècle, la restauration des boiseries et l’assainissement complet des murs.
Ces derniers ont ensuite été ornés du “Panorama Suisse” de la maison Zuber (Rixheim, Alsace), l’un des premiers tirages réalisés à la main au pochoir au début du XIXᵉ siècle, restauré par Monsieur Claude Rochat.
Une partie des terres cuites en navette du XVème siècle, retirée lors d’anciennes restaurations, a été réemployée dans le petit salon de la suite du XVIIème, accessible directement depuis l’extérieur. La cheminée, en partie détruite, a été reconstruite, et les murs assainis. Pour alléger la structure des poutres restaurées, un parquet de chêne en point de Hongrie a été choisi.
Situé dans une des grandes tours, cet espace sur deux niveaux se caractérisait par une trémie sommairement découpée dans le plafond du XVème, dans le cadre d’une distribution des appartements créés au vingtième siècle.
Après purge complète de l’espace, en particulier des murs, restauration du placard à munition, réouverture des meurtrières permettant la découverte d’anciennes latrine du XVème murées au 17ème, nous avons installé un bel escalier en colimaçon, oeuvre de compagnons de St Etienne. Il permet de mettre en valeur l’espace et l’élévation du premier étage.
C’est la plus petites des quatre, et la plus jolie, avec ses 3 corniches décoratives !
La pièce inférieure étant carrée, dans une tour ronde, les Bâtiments de France ont longtemps considéré qu’il s’agissait d’une transformation du VXIIIème siècle : afin de rendre une symétrique esthétique et valorisante au château, on aurait « arrondi » le premier étage et rajouté une élégante sur-élévation pour la mettre au niveau des autres tours.
Les travaux de restauration permirent de démentir cette théorie : le sol inférieur, lorsqu’il fut déposé, révéla une large construction circulaire qui servait de base à la tour, peut-être même sur les restes d’un édifice rasé, sur ordre du Comte d’Eure, au 14ème siècle.
Cette base circulaire, où les meurtrières sont encore visible, contient un canal en pierre, laissant passer une source utile pour évacuer les latrines dont un conduit vertical débouchait à ce niveau.
Donc, le premier étage a subi la transformation inverse . Il a été rendu carré, peut-être pour en faciliter l’ameublement aux temps de l’Evêque.
Quant aux deuxièmes et troisièmes niveaux, le décapage des murs laissa apparaître des meurtrières, dont l’une est obstruée par le bâtiment rajouté et construit fin XVIIème, prouvant ainsi son antériorité.
Dans la pièce qui conduit à la tour, au deuxième étage – dans le gîte -, a été mis en évidence, sous les enduits, un dessin au fusain. Il représente la façade principale de la cour, de pur style 18ème, dans une ébauche d’intention : on peut imaginer qu’il s’agissait du projet de transformation, muré ensuite sous un enduit à la chaux qui l’a préservé jusqu’à maintenant !
Nous avons choisi de respecter scrupuleusement l’existant, en remettant en place les parfeuilles manquants qui recouvraient un faux plancher très endommagé, servant en réalité de plafond au deuxième étage. Ces éléments ont été réparés avec soin afin de préserver la structure d’origine tout en garantissant sa solidité.
Par-dessus ces interventions, une isolation naturelle composée de matériaux végétaux et animaux a été installée, puis recouverte d’un caissonnage en planches brutes.
L’ensemble de la façade nord, ainsi que les deux tours qui l’encadrent, ont été piqués avec minutie, puis réenduits à la chaux, selon les techniques traditionnelles.
Ce travail patient a permis de redonner souffle et cohérence à la maçonnerie ancienne, tout en révélant plusieurs détails architecturaux et vestiges archéologiques jusque-là dissimulés. Ces découvertes ont offert de précieuses indications sur l’évolution du château, enrichissant la compréhension de son histoire et de ses différentes phases de construction.